Le Marché de la Photo 2013 - La fin de l'âge d'or ?

 


mercredi 22 janvier 2014

Une année 2013 bien morose

Cliquez pour agrandir l'imageL'année 2013 a été plus que mitigée pour la photo (votre serviteur en a fait les frais). Globalement, les ventes de matériel photo ont chutées de près de 7% en volume et environ 10% en terme de chiffre d'affaire. C'est "logiquement" le compact, attaqué par les smartphones, qui représente la majorité de cette baisse avec un recul de près de 20%.
Le marché du bridge perd aussi du terrain mais subit moins la concurrence des smartphones et reste donc attractif.
Les hybrides continuent à progresser mais de façon beaucoup moins marquée que les années précédentes (environ +10% en 2013 contre 60% en 2012). Cette inflexion de la croissance des ventes commence à "inquiéter " les fabricants comme Olympus, qui misaient essentiellement sur ce segment depuis quelques années. Ils pourraient bien à nouveau aller fureter du côté des reflex (voir cette article de Photo-rumors : http://photorumors.com/2014/01/09/olympus-may-go-back-to-producing-dslr-cameras-if-mirrorless-sales-continue-to-tank/).
Le marché du reflex quant à lui reste stable et continuera vraisemblablement à être le moteur du marché de la photo, épaulé par celui des accessoires (optiques, sac, pieds, ...) dont les ventes découlent logiquement de celles des appareils.

D'après GFK, cette décroissance est lié à un marché de la photo, porté jusqu'ici par la révolution numérique, qui est arrivé à maturité. Environ 75% des foyers français sont équipés d'appareil photo.
Un analyste du Crédit Suisse, Yu Yoshida, interviewé par le New York Times en décembre 2013, pense même que seuls Canon, Nikon et Sony pourraient survivre à long terme (bizarrement des marques qui ont une gamme reflex ...). Quel avenir !

Quelques hypothèses

Comment expliquer cet état de fait ? Compliqué, d'autant que je ne suis ni journaliste économique, ni analyste. Je me permets tout de même quelques hypothèses pour tenter d'expliquer la morosité du marché :
  • La crise ! Certes, il est vrai qu'elle a bon dos et que l'on tente bien souvent de tout expliquer par la crise. Mais il faut aussi reconnaître que la photo est un monde de passionnés et de geek. Nous sommes bien souvent tenté de changer de matériel, attiré par les nouveautés,  alors que notre appareil rempli parfaitement ses fonctions. Si on n'hésitait peu il y a quelques années, la conjoncture actuelle nous plonge dans un certain pragmatisme (plutôt sain finalement) en retardant un achat compulsif de plusieurs mois (voire quelques années …). De plus, la grande majorité des passionnés de photo est déjà bien équipée et se contente de son matériel préférant investir modérément dans des accessoires (optiques, pieds, …) : "la maturité du marché" avancé par GFK.
  • Le consommateur est de plus en plus critique et internet a mis à sa disposition tous les outils nécessaires pour décortiquer les arguments marketing des constructeurs comme « plein de pixels et très gros zoom = super appareil photo ».
  • Pour rebondir sur l'hypothèse précédente, les constructeurs ont tout de même (jusqu'à aujourd'hui)  tendance à se reposer sur leurs lauriers et innovent finalement assez peu. Un autofocus hybride par ci, un filtre en moins par-là, … Mais globalement, les modèles restent à peu près identiques, n'incitant pas vraiment le consommateur à changer son boîtier tant l'évolution est minime (et souvent très coûteuse). Ces « micros-évolutions » annuelles ne sont pas sans rappeler la politique commerciale d'Apple (nouvelles fonctionnalités = nouveau modèle). Mais les aficionados de la pomme sont majoritairement des geeks. Or en photo il y a bon nombre de passionnés pour qui ses petites évolutions sont accessoires ou trop chères. Et, aux vues des résultats d'Apple, on voit que ce modèle économique bat « légèrement » de l'aile. Il serait, à mon avis, préférable de proposer une grosse évolution du matériel tous les 3 ans plutôt que quelques broutilles tous les ans.
  • Concernant les hybrides, la désaffection des utilisateurs pour ces boîtiers ne peut s'expliquer par "la crise". Leur tarif à largement baissé pour arriver au niveau d'un compact haut de gamme pour les premiers prix. Personnellement, je n'ai jamais trop apprécié ce type d'appareil que je trouve "ergonomiquement" peu pratique, moins performant qu'un reflex et beaucoup plus encombrant qu'un compact. A priori, je ne suis pas le seul ...  Je pense que ce marché a été dopé par un effet de mode qui commence à s'estomper. De plus, le marché a tendance à monter en gamme. Si l'évolution se justifie du côté du reflex, il me semble que vouloir viser le haut de gamme dans un segment "ludique" est dangereux si on ne propose pas un produit vraiment innovant. Je pense notamment aux Olympus E-P5 ou E-M10 qui, lors de leur commercialisation, étaient affichés à des tarifs (boîtier nu) équivalents à ceux d'un reflex APS-C expert avec optique. Pour un consommateur "lambda", il est très tentant d'aller vers le produit "connu". Sony joue un peu mieux "le coup" avec son A7 car il propose un boîtier plein format à un tarif très inférieur à ceux disponibles sur le marché.
  • Le smartphone continue son travail de sape sur les compacts : quel intérêt d'acheter un appareil photo alors que notre smartphone prend une photo (plus ou moins bien), la traite (plus ou moins bien) et l'envoi immédiatement sur les réseaux sociaux ? La très grande majorité des jeunes utilisateurs se contente de cet outil de poche.

La dématérialisation de la distribution

Un autre facteur inquiétant est la déstructuration des moyens de distribution. Si on y regarde d'un peu plus près, le marché de la photo ressemble de plus en plus à celui la bourse : les prix font le yo-yo quotidiennement et chacun tente de proposer la meilleure offre pour attirer le client. Pourquoi ? Principalement à cause de la vente à distance (ou grâce à la VAD si on se place du côté du consommateur). Il est clair que pour les grands acteurs de la VAD ou les grands groupes de distribution, les infrastructures et les investissements (je ne parle même pas des sièges sociaux à l'étranger ou des sources d'approvisionnement dans la ZEE …) sont très différents de ceux d'un petit magasin physique. Entre pousser un carton acheté en Allemagne dans un camion et expliquer pendant 1 heure le meilleur choix possible à un client, le coût personnel/vente n'est pas le même. Alors certes le consommateur s'y retrouve en payant son produit moins cher. Mais dans quelques années, quand les spécialistes auront été éradiqués et que seules la VAD et quelques grosses enseignes (Darty, Fnac, Boulanger – bien qu'en difficultés) monopoliseront le marché, il ne faudra pas pleurer. Le conseil, le service et le choix pâtiront sans doute de ce pseudo-monopole.


 
Quand on y pense, finalement, n'est-ce pas l'aboutissement logique des lois du marché ? Seuls les plus forts survivront à la multitude de moyens d'achats possibles, notamment à l'étranger où les taxes sont inférieures (Ah, Maastricht …) ; la loi du plus fort en sommes. Mais l'autre problème, c'est que les constructeurs pèsent aussi sur ce constat. La plupart d'entre eux ne veut pas laisser le Far West s'installer sur le marché de la photo et, pour des raisons très discutables (prix élevé = haut de gamme …), souhaitent maintenir un certain tarif de vente sur leur matériel. Distribution sélective, perte de prix d'achat « optimisés » et menaces de rompre l'approvisionnement pendent au nez de ceux qui seraient tentés de trop baisser leur prix. Il suffit de voir ce qui est arrivé à Photo Saint Charles (magasin parisien aux tarifs historiquement attractifs) qui n'a « simplement » plus le droit de présenter certains produits (Sony notamment) sur son site web alors qu'ils sont toujours disponibles à la vente en boutique, à des tarifs toujours aussi agressifs. N'est-ce pas totalement hypocrite ? Attention je n'accuse pas PSC, qui devrait bien évidemment avoir les coudés franches pour appliquer sa propre  politique commerciale, mais plutôt Sony  qui n'a, à mon humble avis, pas grand-chose à perdre dans l'histoire.
Personnellement, je ne vois pas en quoi laisser les distributeurs se battre à coup d'euros impacterai le chiffre d'affaire des constructeurs. Après tout, une fois leur marge faite en vendant leurs produits, que le distributeur se sucre ou pas n'y changera pas grand-chose. Mais n'ayant pas fait de hautes écoles de commerce, il y a sans doute des paramètres qui m'échappent.
Au final, cette politique visant à tirer les tarifs vers le haut et à uniformiser ces derniers, interdit tout simplement aux plus petits de tenter de concurrencer les grands groupes en pratiquant des tarifs « convenables » aussi bien pour leur survie que pour le consommateur. Les grands groupes (Fnac, Darty, …) achètent en grande quantité et peuvent donc obtenir des tarifs inférieurs. De plus, ils représentent une telle force de vente que les constructeurs, malgré leur pseudo ligne de conduite tarifaire, n'hésitent pas à laisser dériver certaines pratiques tarifaires douteuses comme la vente à perte.
Mais peut-être est-ce aussi une politique d'usure de la part des constructeurs pour élaguer les sources de distribution et uniformiser les tarifs. Ainsi, ils pourront, eux aussi participer plus activement à la vente de matériel via leur site internet ou quelques points de ventes physiques stratégiquement disposés et faire encore plus de profits.

Quel avenir pour nous, consommateurs ? 

Triste constat me direz-vous. Mais est-on, nous les consommateurs, gagnants au final ? Globalement, je pense que non. Tous ces facteurs mis bout à bout (plus un coût de travail un peu trop élevé) sont en train d'étouffer les petits magasins où le choix et le service priment sur le prix. A plus ou moins long terme, lorsqu'ils auront disparus, nous auront en face de nous des géants du multimédia qui vendront aussi bien de la machine à laver que du reflex plein format ou des site internet de vente directes des constructeurs eux-mêmes. Alors pensez-bien que le choix et le service ne seront probablement pas en tête de liste de leurs priorités.
J'ai conscience que c'est un avenir bien pessimiste que j'entrevoie, sans doute alimenté par mon état d'esprit du moment et un petit retour d'expérience de l'année passée, mais ne vous y trompez pas, la photo a beau être un monde de passionnés, les constructeurs et les grands groupes de distribution voient avant tout leurs bénéfices quitte à refourguer du rêve au consommateur crédule.
 
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